Le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne donne de nouveaux espoirs aux partisans de cet idiome respectueux de la diversité culturelle.
Prenez un jeune homme à qui tout semble réussir. Etudes brillantes à HEC et à Sciences po ; maîtrise de l’anglais, du russe et de l’allemand ; stages à New York ; premier emploi au Boston Consulting Group ; création de plusieurs start-up, revendues quelques années plus tard. Et allez comprendre pourquoi, compte en banque bien garni, le même décide à 37 ans de consacrer la moitié de son existence à… l’espéranto.
C’est là pourtant l’étonnant parcours de Vincent Jacques, ci-devant président fondateur du mouvement “Espéranto pour l’Europe”, consacré à cette langue atypique, que le jeune homme a découverte en 2004. “J’étais alors à New York et j’ai soudain mesuré l’injustice liée à la domination de l’anglais. J’ai constaté qu’un anglophone de naissance pouvait se consacrer entièrement à sa discipline tandis que son concurrent hongrois, libanais ou français devait, lui, passer 1500 heures à maîtriser une autre langue que la sienne. J’ai aussi saisi à quel point cette domination aboutissait à un appauvrissement culturel considérable puisque la moitié des 6000 langues parlées dans le monde sont menacées de disparition d’ici à la fin du siècle.”
Il se plonge alors dans l’aventure de cet idiome inventé à la fin du XIXe siècle par un médecin polonais, Ludwig Lazare Zamenhof. Se prend de passion pour cette langue neutre et simplissime (une grammaire sans exception, une orthographe régulière), n’appartenant à aucun pays dominant. Découvre qu’elle a été accueillie à ses débuts avec un réel enthousiasme, y compris par Tolstoï, Gandhi ou Einstein. Et comprend qu’elle s’est toujours heurtée à la méfiance des grandes puissances, soucieuses de ne pas perdre leurs avantages linguistiques, à commencer par la France.
Vincent Jacques connaît son histoire ; cela ne l’empêche pas de persévérer. En 2019, il crée donc “Espéranto pour l’Europe”, dont l’objet tient dans son intitulé : faire de cet idiome à part le parler commun de l’Union européenne, parcellisée aujourd’hui entre 24 langues officielles. Ne correspond-il pas en tout point aux valeurs d’une Union dont la devise, rappelons-le, est “Unis dans la diversité”? “L’espéranto n’a aucune visée hégémonique, mais cherche uniquement à assurer la compréhension entre tous, souligne-t-il. Ce faisant, il protège les autres langues ; évite les inégalités qui découlent des dominations culturelles ; permet à chacun de parler d’égal à égal. Et, de surcroît, il est juste socialement.” De fait, la domination de l’anglais favorise les familles qui ont les moyens de payer des cours particuliers et/ou des séjours linguistiques à leur progéniture. L’espéranto, lui, s’apprend en 150 heures seulement et, par définition, ne nécessite pas d’aller en “Espérantie”.
On l’imagine : le Brexit lui apparaît comme une formidable fenêtre de tir pour son projet. “Après le départ du Royaume-Uni, il ne restera plus en Europe que 5 millions d’anglophones natifs dans l’Union, relève-t-il. Il serait tout de même paradoxal de voir l’Europe conserver l’anglais comme langue de travail !”. Pour autant, Vincent Jacques n’est pas naïf : il sait bien qu’il lui faudra encore des années pour convaincre – si tant est qu’il y parvienne. Aussi a-t-il élaboré une stratégie de long terme. D’abord, mieux faire connaître l’espéranto ; puis augmenter le nombre de ses locuteurs ; le proposer systématiquement en option dans l’enseignement, comme c’est déjà le cas en Hongrie ou en Pologne ; en faire un jour la 25e langue de l’Union avant qu’à terme, il ne devienne la langue commune de l’Europe.
Tout cela prendra du temps, bien sûr, d’autant que les soutiens ne sont pas légion. Pire : son combat froisse certains amoureux du français, qui voudraient voir la langue de Molière succéder à celle de Shakespeare (1). Question de philosophie : pour tout amoureux de la diversité culturelle, substituer un hégémonisme linguistique à un autre n’a aucun intérêt. Question d’efficacité à long terme, aussi. “J’adore le français, souligne Vincent Jacques, mais je crains pour lui une évolution à l’africaine.” Traduction ? “Dans de nombreux pays du Continent noir, ceux qui ne parlent que les langues locales sont exclus des postes de pouvoir. Ma crainte est que, d’ici deux à trois siècles, le français ne subisse le même sort y compris en France, où l’on voit déjà certaines familles apprendre l’anglais dès le plus jeune âge à leurs enfants.” Un risque exclu avec l’espéranto, dont le principe même consiste à s’ajouter aux idiomes existants et non à les remplacer. “Au fond, conclut-il, nous sommes confrontés à un choix : être dominés par les Anglo-Saxons en nous soumettant au globish ou défendre nos cultures en disposant néanmoins d’une langue d’échange internationale.”
Pour sa part, il a choisi.
(1) Voir la lettre que j’ai déjà consacrée à ce sujet.
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Le latin, le grec et le chinois à l’honneur à Versailles
Pour la deuxième année consécutive, la Ville de Versailles organise un festival autour des langues et cultures classiques. Rendez-vous les 31 janvier et le 1er février.
A ECOUTER
L’espéranto se parle, bien sûr, mais il se chante aussi. La preuve avec cette chanson dont voici les paroles (1) :
(Ke vi chiam cheestas kun mi…)
(Parce que vous êtes toujours avec moi…)
[Refrain]
Mi volas diri dankon
Je veux dire merci
Al miaj plej bonaj amikoj en la mondo!
A mes meilleurs amis dans le monde !
Do dankon, ke vi chiam cheestas kun mi
Donc merci que vous soyez toujours avec moi
[Fin du refrain]
En mia vivo multe okazis multe sukcesis
Dans ma vie j’ai fait beaucoup de choses, j’ai réussi beaucoup de choses
Kaj mia fido per bonaj amikoj kreskis
Et j’ai pu gagner en confiance grâce à mes bons amis
Estis longa vojo sed la povo de la homoj
Le chemin fut long mais le pouvoir des hommes
Kreis propran mondon kun belaj sonoj
A créé un monde propre avec de belles chansons
Kun kelkaj malfortoj, tion mi konfesas
Avec quelques faiblesses, je le confesse
Sed ni povos shanghi tion mi promesas- jesja!
Mais nous pouvons changer cela, je vous le promets !
[Refrain x 2]
Mi volas diri dankon Je veux dire merci Al miaj plej bonaj amikoj en la mondo! A mes meilleurs amis dans le monde! Do dankon, ke vi chiam cheestas kun mi Donc merci que vous soyez toujours avec moi [Fin du refrain]
Do: Dankon al Flo! La kreinto de Vinilkosmo Merci à Flo ! Le fondateur de Vinilkosmo
Ununura EO-eldonejo, indas por nia muzik’ la vendejo!
Un éditeur unique en espéranto, un magasin digne de notre musique !
Kaj dankon al Leo Sakaguchi, DJ esperanta, kiu povas tushi vin
Et merci à Léo Sakaguchi, DJ espérantophone, qui vous touche
Per sia muzik’, kiu bona rim’ char li estas bonega amik’!
Par sa musique qui rime si bien, car il est un si bon ami !
Dankon al Pafklik, kaj Eterne Rima, vi kaj JoMo faras bonan muzikon!
Merci à Pafklik et Eterne Rima, avec JoMo vous faites de la bonne musique !
DJ Kunar, Kimo kaj Dolchamar… Do ghis la venonta renkontigho!
DJ Kunar, Kimo et Dolchamar… A bientôt pour notre prochaine rencontre !
Mojosecon kaj muzikon, tiu moto ghustas lau mia opinio!
“Relaxation et musique”, voilà une devise qui me semble pertinente !
Chu vi divenis, kiu estas tio? Ankau dankon al Muzaiko!
Est-ce que vous avez deviné de quoi il s’agit ? Encore merci à la radio Muzaïko !
(1) Pour des raisons techniques, un certain nombre de caractères spéciaux utilisés par l’espéranto n’ont pu être reproduits ici.
L’Express| Michel Feltin-Palas | 28/01/2020
https://www.lexpress.fr/culture/le-brexit-le-nouvel-espoir-de-l-esperanto_2116429.html